Giorgio Agamben, « Qu’est-ce que le contemporain ? »

Publié le par DPEA Architecture & Philosophie

G.Agamben Qu'est ce que le contemporain

 

[…] Celui qui appartient véritablement à son temps, le vrai contemporain, est celui qui ne coïncide pas parfaitement avec lui ni d’adhère à ses prétentions, et ne se définit, en ce sens, comme inactuel ; mais précisément pour cette raison, précisément par cet écart et cet anachronisme, il est plus apte que les autres à percevoir et à saisir son temps.

Cette non-coïncidence, cette dyschronie, ne signifient naturellement pas que le contemporain vit dans un autre temps, ni qu’il soit un nostalgique qui se reconnaît mieux dans l’Athènes de Périclès ou le Paris de Robespierre ou du marquis de Sade que dans la ville ou le temps où il lui a été donné de vivre. Un homme intelligent peut haïr son époque, mais il sait en tout cas qu’il lui appartient irrévocablement. Il sait qu’il ne peut pas lui échapper.

 

La contemporanéité est donc une singulière relation avec son propre temps, auquel on adhère tout en prenant ses distances ; elle est très précisément la relation au temps qui adhère à lui par le déphasage et l’anachronisme. Ceux qui ne coïncident trop pleinement avec l’époque, qui conviennent parfaitement avec elle sur tous les points, ne sont pas des contemporains parce que, pour ces raisons mêmes, ils n’arrivent pas à la voir. Ils ne peuvent pas fixer le regard qu’ils portent sur elle.

 

[…] Ceux qui ont cherché à penser la contemporanéité ont pu le faire seulement à condition de la scinder en plusieurs temps, introduisant dans le temps une essentielle hétérogénéité. Qui peut dire : « mon temps » divise le temps, inscrit en lui un césure et une discontinuité ; et d’ailleurs, précisément par cette césure, par cette interpolation du présent dans l’homogénéité inerte du temps linéaire, le contemporain met en œuvre une relation particulière entre les temps.

 

[…] Cela signifie que le contemporain n’est pas seulement celui qui, en percevant l’obscurité du présent, en cerne l’inaccessible  lumière ; il est aussi celui qui, par la division et l’interpolation du temps, est en mesure de le transformer et de le mettre en relation avec d’autres temps, de lire l’histoire d’une manière inédite, de la « citer » en fonction d’une nécessité qui ne doit absolument rien à son arbitraire, mais provient d’une exigence à laquelle il ne peut pas ne pas répondre. C’est comme si cette invisible lumière qu’est l’obscurité du présent projetait son ombre sur le passé tandis que celui-ci, frappé par ce faisceau d’ombre, acquérait la capacité de répondre aux ténèbres du moment. […]

 

Extrait du livre de Giorgio Agamben, « Qu’est-ce que le contemporain ? »
Leçon inaugurale du cours de Philosophie théorétique donné en 2005-2006 à l’université IUAV de Venise.
Traduit de l’italien par
Maxime Rovere, Ed. Rivage poche Petite Bibliothèque.

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A travers son essai, Giorgio Agamben nous interpelle en tant qu’architecte : comment dans notre pratique d’architecte « être contemporain » ? En quoi cette analyse nous donne des clés au regard de notre démarche et de notre attitude en tant que concepteur qui inscrit une recherche dans le temps. La notion de temps présent est ainsi à mettre en perspective : l’architecte par son travail entretien une relation particulière au temps au travers des territoires et des espaces qu’il parcourt. C’est de cette empreinte spatiale que nait un rapport de dialogue entre une époque et une façon de pratiquer l’espace. Ainsi c’est ce dialogue entre le temps de l’œuvre et le temps que celle-ci traverse, qui peut être à l’origine d’un caractère de contemporanéité : une capacité à entretenir une relation particulière entre des espaces de temps différents, superposant les pratiques et les regards. L’œuvre architecturale doit donc être à même de se révéler et de se distinguer au regard de son contexte spatial tout en étant capable de s’inscrire dans une continuité. De ce déphasage ou de ce décalage avec les langages du présent, l’œuvre architecturale entretien un rapport de contemporanéité avec un contexte, instaurant un échange avec son environnement. L’œuvre contemporaine traverse alors le temps et instaure une relation entre les différents temps de son existence. Ainsi l’usager entre en contact avec ces époques en les intégrants dans un temps en devenir.

F.Louyot

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